Le pénible épisode de l'évacuation… en 1939
Au cours de l'année 1938, la perspective de l'évacuation s'annonçait déjà en sourdine. Mais comment des paysans endurcis et pourtant tendrement attachés à leurs terres sauraient-ils admettre cette idée. " Nous ne pouvons pas partir ce n'est pas possible..." répète-elle aujourd'hui comme si c'était hier.
Au niveau de la commune on vivait dans l'expectative, sans véritable information. Certaines familles étaient donc davantage prêtes que d'autres. "Chez nous, on n'y croyait pas trop" se souvient cette grand-mère qui, cette année là, était âgée de 29 ans avec six enfants à charge. La perspective du départ faisait peur. Le travail à la ferme se poursuivait ainsi que les travaux dans les champs jusqu'au 1er septembre 1939. Mais un jour il fallut se rendre à l'évidence:. "Il faut partir. Alors que nous rentrions des champs avec une charrette de sainfoin, nous avons aperçu un cortège de gens en train de partir".
Une véritable procession
Personne ne donnait d'ordre: "C'était à chacun pour soi". Les chevaux ont été attelés à la charrette. Un à un les enfants se sont apprêtés. Et puis en route. On n'avait pas la possibilité d'emporter beaucoup d'affaires, tout juste de quoi se changer. Au fond on pensait revenir bientôt".
Sur la route les attelages de chevaux se multipliaient Il en arrivait de toute part. C'était une véritable procession jusqu’à Altenheim. Là ce fût une halte de plusieurs jours et plusieurs nuits. Les journées se passèrent à la cueillette du houblon... Les nuits sur des paillasses dans les granges." On aurait tant eu besoin de couvertures qui étaient restées chez soi"
La nourriture se gagnait par la participation aux travaux des gens d'Altenheim. Vint le jour où il fallut abandonner chevaux et charrettes en plein milieu d'un pré, sans jamais les revoir. Ce fut dur. Mais, comme désormais le voyage devait s’effectuer en train..."Nous étions embarqués dans des wagons destinés aux transports de marchandises et de bétail. Adieu notre charrette, adieu nos chevaux, adieu notre village, adieu notre terre...".
Comme des bohémiens
"Nous étions entassés, le regard angoissé. Un bouillon était servi durant le voyage vers l'inconnu. Nous n'avions même pas de cuillères. Je ne sais plus combien de temps a duré ce voyage... des jours et des nuits..., c'était interminable. Nous étions réduits à l'état de bohémiens, manquant de tout et surtout d'eau pour l'hygiène la plus élémentaire. C'est ainsi que nous sommes arrivés à Limoges puis à Saint-Sulpice-les-Feuilles". La répartition des familles dans les logements ne fut guère simple. Il fallait des jours et des jours jusqu'à ce que tous aient trouvé refuge. Tous étaient logés, mais souvent le logement était dans une nudité la plus totale : il n'y avait ni chaises, ni tables, ni lits, ni couvertures, ni vaisselle...". En arrivant, poursuit cette grand-mère, " beaucoup de gens étaient occupés à se laver et à laver leurs habits dans un abreuvoir pour les bêtes". Bien sûr l'eau se mit à mousser et devint imbuvable pour les animaux. On peut donc imaginer le mécontentement des Limousins. On les comprend. " Et puis, il fallait voir l'aspect que nous avions. Il n'était pas facile pour eux de nous accueillir ainsi".
Un pénible moment que cette arrivée là-bas. Mais peu à peu une nouvelle vie redevenait possible avec le salaire qui était octroyé à chaque famille: 10F pour les adultes et 7F pour les enfants." On pouvait se débrouiller avec". Ainsi passaient les semaines et les mois.
La déception du retour
"Notre exode prit fin pour notre famille le 15 octobre 1940". Retour tant désiré, mais quelle déception amère en trouvant une maison abîmée, pillée..." Une fois de plus nous manquions de tout, dans notre propre maison. Il n'y avait plus de vaisselle, ni lingerie, ni d'habits. Une fois encore tout recommençait à zéro". Il fallait nettoyer le jardin entourant la maison; "Les orties avaient eu le temps de pousser jusque dans la chambre à coucher". Les enfants s'occupaient de chercher des pommes et tout autre fruit et légume pour assurer la subsistance. Les parents s'afféraient à mettre un peu d'ordre dans la maison, "ce qui se résumait à préparer une paillasse sur laquelle tous aient une place".
Peu à peu une organisation se remit en place. Les militaires amenaient en camions la nourriture pour tous ceux qui avaient rejoint leur terre. Peu à peu aussi les activités de la terre ont repris " non pas chacun pour soi, mais en tant que salariés. Cette situation de salarié dura environ trois ans". Le temps de s'installer et d'acquérir le matériel nécessaire pour exploiter ses terres d'une façon indépendante. "Mais dès notre rentrée à l'automne 1940 nous avons pu récolter les raisins et faire notre vin. Le pressoir était resté intact".
Toutefois, la plupart des réfugiés restèrent dans le Limousin jusqu'en 1945. "Je me souviens très bien de leur retour" poursuit la grand-mère, la mémoire perdue dans des souvenirs vieux de 50 ans."Ils n'étaient pas très heureux de voir leurs compatriotes déjà réinstallés dans leurs maisons et leurs terres, alors qu'avec eux devraient reprendre à zéro. D'autant plus qu'on leur avait dressé un tableau tellement noir de la vie au pays qu'ils ne s'attendaient guère à retrouver une terre habitée, cultivée...". Cinq ans après, ils durent donc eux aussi se refaire un chez soi.